La Chèvre et le chou · Portraits de l'agriculture aujourd'hui

Tous les mois, un focus sur le monde agricole ou un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse, agrémenté d'un petit récit d'invention.

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Par Lucie B.
16 mai · 5 mn à lire
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L'agriculture en France aujourd'hui

Un hors-série précoce et printanier

Bonjour ! Vous avez raison, cette newsletter présente en principe, chaque mois, un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse. Mais pour cette deuxième édition, ça ne sera pas le cas. C’est largement dû à mon manque d’anticipation, et aussi aux semaines très chargées des agriculteurs ces temps-ci.

Qu’à cela ne tienne, c’est l’occasion de vous présenter, de manière concise et non-exhaustive, quelques infos et chiffres clés de l’agriculture en France aujourd’hui.

Et en deuxième partie, bien sûr, un petit récit d’invention autour d’une ferme inventée.

L’agriculture en France aujourd’hui, c’est quoi ?

Les grandes zones agricoles françaises, Répartition en nombre d'exploitations agricoles par code postal, ArctiqueLes grandes zones agricoles françaises, Répartition en nombre d'exploitations agricoles par code postal, Arctique

18 zones agricoles. Veuillez cliquer sur ce lien afin d’accéder à la légende de la carte.

  • En jaune ci-dessus, les grandes cultures, c’est-à-dire notamment les céréales (ex. blé, orge, maïs), les oléagineux (ex. tournesol, colza, soja) et les protéagineux (ex. pois, féveroles).

  • En vert, les élevages.

  • En violet, la vigne.

  • En mauve, l’association des cultures et de l’élevage.

4 grands types d’agriculture, parmi bien d’autres, avec une définition courte donc simplifiée :

  1. L’agriculture dite “intensive”, avec intervention systématique par l’apport d’intrants, c’est-à-dire des produits appliqués aux terres et aux cultures, par exemple les engrais. Les objectifs de rendement sont élevés.

  2. L’agriculture dite “raisonnée”, qui consiste à limiter l’apport d’intrants en tenant compte notamment des éléments déjà présents dans le sol et du type de culture.

  3. L’agriculture dite “intégrée”, qui vise à minimiser à la fois l’apport d’intrants et les risques liés aux parasites et maladies par la mise en place d’une stratégie globale au niveau de l’exploitation (rotations des cultures, mixité des cultures, réutilisation, etc.). Les objectifs de rendement sont moyens.

  4. L’agriculture dite '“biologique”, qui a pour objectif de n’avoir recours à aucun intrant de synthèse. Ces exploitations sont contrôlées chaque année pour obtenir et conserver la certification biologique.

416 436 exploitations. C’est le nombre d’exploitations agricoles recensées en 2020 en France, soit une baisse de 74% depuis 1970. 37% des exploitations sont consacrées à l’élevage.

-10% de superficie agricole utilisée depuis 1970. On observe donc une forte augmentation de la taille des exploitations avec une moyenne de 69 hectares. Les grandes cultures occupent 45% de cette superficie agricole.

1,5% d’exploitants agricoles dans la population active en 2019, avec une moyenne d’âge de 51 ans. 26% des dirigeant·e·s ou co-dirigeant·e·s d’exploitation sont des femmes. Un chiffre en augmentation ces dernières années, les femmes représentant 40% des nouvelles installations en 2020.

1er exportateur européen. Le site de Vie publique nous apprend que la France est le principal exportateur européen et cinquième exportateur mondial de denrées agricoles. Elle était deuxième il y a vingt ans. Elle importe par ailleurs de plus en plus de produits agricoles (par exemple, 56% de la viande ovine, c’est-à-dire issue du mouton, et 28% des légumes).

Une politique agricole commune (PAC) européenne, mise en place en 1962 pour subvenir aux besoins des populations au sortir de la Seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, c’est le principal poste de dépense de l’Union européenne. Une nouvelle PAC a été définie pour la période 2023-2027, avec comme objectifs une plus grande flexibilité stratégique pour chaque pays, des ambitions climatiques et environnementales plus élevées, et une répartition plus équitable.

Des enjeux prioritaires, parmi lesquels :

  • Le renouvellement des générations et le renforcement de l’attractivité des métiers de l’agriculture

  • La stabilisation et l’augmentation des revenus des métiers agricoles

  • L’accès au financement des investissements et au foncier

  • La préservation de l’environnement et l’adaptation au changement climatique

  • L’inflation et l’accès à une alimentation de qualité et abordable

Sources : en complément des liens ci-dessus, vous pouvez consulter les Tableaux de l’économie française de l’Insee, l’infographie La ferme France, le site des Chambres d’agriculture, le site de l’Académie d’Agriculture de France ou encore cet article de The Conversation.

La Ferme inventée #2 - Les Champs des Îles volantes

A peine mon avion a-t-il le temps de laisser derrière lui la purée de pois du cumulus, que l’île est déjà en vue. En forme de goutte d’eau, ses champs de laitues verdoient dans les lumières du soir. Elle survole paisiblement la mer, sur laquelle le coucher de soleil a déposé de magnifiques couleurs. C’est la dernière île de ma tournée dans l’Archipel Lévitant de Brennag. Je la connais bien, cette île. C’est une « errante ». Elle trouve toujours le moyen de s’isoler des autres. Sans doute son champ magnétique est-il plus important que celui des autres membres de l’Archipel, ce qui explique ces répulsions. En tout cas, elle se cache toujours et sans les balises de la ferme du vieux Svyrn, elle serait vraiment difficile à repérer.

J’expire pour me calmer avant l’atterrissage. On ne dirait pas comme ça, mais cette « errante » est en train de filer dans l’air à une bonne trentaine de kilomètres heure. Il faut le prendre en compte pour jauger son arrivée. Sans compter que la piste d’atterrissage est étroite, pour laisser le plus de place possible aux champs, et que chaque île volante s’accompagne toujours d’une myriade de débris en lévitation de tailles diverses. Heureusement, j’ai l’habitude. Et puis je ne me laisse jamais avoir par le piège de la fin de journée. « C’est la dernière île avant le retour, tu peux te relâcher un peu, c’est bientôt fini » : pas de ça chez moi. Je sais bien que c’est à ce moment-là que les pilotes de fret ont le plus d’accidents. J’esquive habilement les roches brunes sur mon parcours, je parviens à me remettre d’aplomb au bon moment et j’atterris sans un soubresaut. Déjà les employés du vieux Svyrn s’approchent vers moi avec leurs caisses. Eux aussi ont envie que la journée se termine. La navette « sol-îles » ne va pas tarder à passer. Seul Svyrn restera là, dans cette baraque où il vit depuis des décennies. C’est un « islien » comme on dit, et fier de l’être, de ceux qui ne regagnent le plancher des vaches qu’en cas d’extrême nécessité. Leur île, c’est leur vaisseau, leur monde. Ils ne font qu’un avec elle.

J’appuie sur un bouton pour abaisser la porte arrière de mon avion et laisser aux employés agricoles l’accès à la soute. Ensuite, je prends le temps de m’en griller une. Chacun son travail : surtout ne pas aller vexer un employé agricole de l’air en tentant de l’aider. Il prendrait ça pour de la pitié ou pire, du mépris. J’ai déjà essayé une fois, quand j’étais un jeune pilote ignorant. On m’a bien fait comprendre qu’on me pardonnait juste parce que je débutais. Les quatre solides gaillards chargent les caisses les unes après les autres. Principalement des laitues, en cette saison, mais pas que. Toutes les îles volantes, à part les Mastodontes de l’Ouest, sont en permaculture. Le climat, en haut, est beaucoup trop fluctuant pour ne pas laisser Dame Nature faire son œuvre. C’est d’ailleurs ce qui a posé problème à l’agriculture islienne pendant de longues années. Pas évident de maîtriser ses champs quand on traverse régulièrement l’humidité des nuages, quand la foudre frappe dur et quand il fait plus froid et plus venteux qu’en bas. Dans les Mastodontes, on a trouvé des technologies palliatives : de grandes serres, par exemple. Mais les technologies coûtent cher, sans parler de l’installation. Là-bas, les rendements élevés facilitent les choses. Il faut dire que certaines Mastodontes font la taille d’une grande ville, là où la moyenne des îles volantes se situe plus dans une dizaine d’hectares. Les fermes comme celles du vieux Svyrn n’ont pas les moyens de faire autrement que de composer avec les éléments.

La clope au bec, je me rappelle quand ils ont décidé de faire des îles des terres agricoles. J’étais môme à l’époque. Je me rappelle avoir pensé : « Dans ce cas, je serai pilote d’île en île ». Et me voilà. Comme quoi, des fois, pas besoin de se creuser trop la tête. Auparavant les îles faisaient juste partie du paysage. Les touristes aisés les visitaient parfois et seuls quelques riches fantasques y avaient leur résidence secondaire. Personne n’y vivait à l’année : les îles bougeaient, elles traversaient facilement les frontières et les gouvernements n’aimaient pas beaucoup l’idée de citoyens apatrides capables de vagabonder dans l’air librement au-dessus d’eux. Seulement, les terres agricoles d’en bas étaient déjà toutes prises et on était de plus en plus nombreux. Alors, un accord international a été établi pour l’exploitation des îles. On a fait de grands travaux sur chacune d’entre elles : citernes pour l’eau, traitement des eaux de pluie, fosses septiques… Les « isliens » permanent ont obtenu un statut spécial. La vie y reste dure, solitaire, alors pour récompenser les courageux qui exploitent ces maigres parcelles, les gouvernements se montrent généreux. Ça a fait grincer des dents quelques fermiers « d’en bas » d’ailleurs. Aux salons agricoles terriens, « isliens » et « planchiens » alternent entre camaraderie, railleries et conflits. Enfin, ce n’est pas mon problème. Moi, j’ai juste à faire la tournée de l’Archipel avec mon coucou, récupérer les denrées puis tout apporter au Grenier Provincial. Une pure création humaine pour le coup : un immense immeuble métallique perçant le ciel, avec à chaque étage des hangars et des pistes d’atterrissages.

Tandis que l’étincelle de ma cigarette tente de rivaliser vainement avec le rougeoiement du couchant, j’observe la baraque du vieux Svyrn. Un gros bâtiment aux murs de chaux blanche, chauffé au bois, construit dans une forme aérodynamique et flanqué de ses deux gros hangars de stockage en béton. On a des vies diamétralement opposées, Svyrn et moi. J’ai choisi mon métier pour être toujours libre et lui aime rester au même endroit. Pourtant, il ne cesse de bouger. C’est peut-être pour ça qu’on se comprend bien. En plus on est « du ciel », tous les deux. En plissant les yeux, j’aperçois la silhouette voûtée du vieux fermier islien me faire signe de venir. Il a une bouteille à la main, sans doute un tord-boyau de « fruits d’en haut ». J’écrase ma clope dans le cendrier du cockpit et ouvre la porte. Le Grenier peut attendre un peu. On ne refuse pas de trinquer avec un islien. 

C’est tout pour ce mois-ci. N’hésitez pas à me faire des retours sur la newsletter, et sur cette édition un peu différente. Et comme toujours :

Belle semaine à vous ! ☀️