La Chèvre et le chou · Portraits de l'agriculture aujourd'hui

Tous les mois, un focus sur le monde agricole ou un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse, agrémenté d'un petit récit d'invention.

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Par Lucie B.
2 mai · 7 mn à lire
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La PAC

Mieux comprendre la célèbre politique agricole commune de l'UE

Bonjour à toutes et tous,

En lien avec l’actualité du début de l’année, je vous propose ce mois-ci de nous intéresser à la politique agricole commune de l’Union européenne, ou PAC, l’une des plus anciennes et des plus importantes politiques de l’UE.

Nous retrouverons en deuxième partie la Ferme Inventée, pour une onzième édition.

Bonne lecture !


La politique agricole commune

La politique agricole commune, plus communément appelée PAC, est l’une des plus anciennes et des plus importantes politiques de l’Union européenne (UE). Représentant aujourd’hui 31% du budget de l’UE, elle établit les grandes orientations agricoles au niveau communautaire, avec pour objectifs initiaux d’encourager une productivité accrue et d’assurer la sécurité alimentaire de l’Europe. Ces objectifs ont depuis évolué, comme nous allons le voir.

Comment la PAC est-elle née ?

En mars 1957, au sortir de la guerre, six États européens — l’Allemagne, l’Italie, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg — signent les traités de Rome : l’un crée la Communauté économique européenne (CEE), le second crée la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom). Le premier traité pose les jalons de ce qui deviendra la PAC. 

En juillet 1958, les membres de la CEE se réunissent à Stresa, en Italie, avec le président de la Commission européenne et le commissaire chargé de l’agriculture, Sicco Mansholt, qui avait déjà développé aux début des années 1950 une proposition de politique commune pour l’agriculture. Ensemble, ils établissent les grands principes de la PAC — unicité du marché, solidarité financière et préférence communautaire — ainsi que ses objectifs fondateurs : 

  • Accroître la productivité de l’agriculture en accompagnant sa modernisation ;

  • Assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;

  • Stabiliser les marchés ;

  • Garantir la sécurité des approvisionnements ;

  • Assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

En 1962, la PAC entre en vigueur et plusieurs mécanismes sont mis en oeuvre : des barrières tarifaires aux frontières de l’union, un projet de libre circulation en son sein, et une politique de soutien des prix pour les productions agricoles des pays membres.

Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Infographie - La politique agricole commune 2023-2027Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Infographie - La politique agricole commune 2023-2027

Comment la PAC a-t-elle évolué ?

Dès 1968, Sicco Mansholt propose une évolution de la PAC pour accompagner les agriculteurs de manière plus directe. Le régime des quotas laitiers est mis en place à partir de 1984 dans l’UE, et ce jusqu’en 2015. Il vise à limiter et stabiliser la production laitière, alors fortement excédentaire, afin de freiner la chute des prix du lait. 

En 1992, le traité de Maastricht fonde l’Union européenne et introduit le principe de sécurité alimentaire. La PAC adopte un régime d’aides directes aux agriculteurs. Des labels de qualité européens sont créés, tels que l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) ou l’IGP (Indication Géographique Protégée). A noter que le label bio européen, Eurofeuille, est créé en 2010.

La PAC est jusqu’alors constituée de son premier pilier : fournir aux citoyens de l’UE des denrées alimentaires à un prix abordable et d’assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs. Les mesures du premier pilier sont financées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA). En 1999, le deuxième pilier de la PAC est créé : il consiste en l’accompagnement du développement rural via notamment la création du FEADER, Fonds européen agricole pour le développement rural.

En 2003, une réforme de la PAC introduit les aides au revenu pour les agriculteurs sous condition de respect de certains critères, notamment environnementaux. L’UE adopte alors le Codex alimentarius, norme internationale sur les produits alimentaires édictée par la FAO* et l’Organisation mondiale de la santé. Des aides spécifiques sont mises en oeuvre pour les régions ultrapériphériques, telles que les DROM-COM (anciens DOM-TOM) pour la France.

*FAO : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

En 2013 puis en 2021, de nouvelles réformes de la PAC sont adoptées. La réforme de 2021 est entrée en vigueur en janvier 2023. Chaque État membre a désormais davantage de marge de manoeuvre quant à l’utilisation du budget de la PAC qui lui est alloué. Cela se fait au travers d’un Plan stratégique national (PSN) sur cinq ans (2023-2027), que chaque État a adressé à la Commission européenne.

Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, PSN PAC : définition du plan stratégique national [pour la France]Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, PSN PAC : définition du plan stratégique national [pour la France]

La PAC, aujourd’hui, qu’est-ce que c’est ?

On l’a dit, la PAC repose aujourd’hui sur deux piliers :

  1. Soutenir les marchés et les revenus agricoles

Le premier pilier est le plus important et représente environ 75% du budget de la PAC. Il s’agit principalement d’aides directes aux agriculteurs pour leur assurer un revenu minimum, fondées sur la surface des exploitations ou la taille des troupeaux de l’éleveur.

Pour toucher ces aides, les agriculteurs doivent respecter plusieurs critères. C’est le principe de conditionnalité, avec deux types d’exigences : d’une part, les exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) qui concernent plutôt l’environnement et la santé publique, et d’autre part les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Il y en a neuf à ce jour :

  • Obligation du maintien des prairies permanentes.

  • Protection des zones humides et des tourbières.

  • Interdiction de brûlage.

  • Bandes tampons le long des cours d’eau.

  • Gestion du labour réduisant les risques de dégradation des sols.

  • Interdiction de sols nus durant les périodes sensibles.

  • Rotation des cultures.

  • Maintien des éléments du paysage.

  • Interdiction de convertir ou de labourer les prairies permanentes dans les sites Natura 2000.

Au travers des plans stratégiques nationaux, le dispositif des écorégimes doit permettre d’allouer 25% des aides directes pour la promotion de bonnes pratiques environnementales.

Des aides spécifiques sont également prévues pour les jeunes agriculteurs, de moins de 40 ans, qui s’installent ou reprennent une exploitation.

Enfin, il est prévu qu’à partir de 2025, les aides seront également conditionnées à une exigence sociale de respect des droits des travailleurs.

Le premier pilier régit par ailleurs les marchés agricoles et les normes de commercialisation des produits agricoles dans l’UE et à l’exportation.

  1. Accompagner le développement rural

Le second pilier de la PAC a pour objectif de maintenir et promouvoir le dynamisme des territoires ruraux, via par exemple la formation des agriculteurs, la promotion du tourisme ou les aides à l’installation.

Nous l’avons vu, ce pilier est financé via le FEADER, Fonds européen agricole pour le développement rural.

Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, PSN PAC : définition du plan stratégique national [pour la France]Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, PSN PAC : définition du plan stratégique national [pour la France]

Et maintenant ?

Suite aux mouvements de contestation des agriculteurs début 2024, la Commission européenne a proposé en mars d’alléger certaines règles environnementales liées à la PAC.

Ce sont certaines des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) que l’UE envisage d’alléger, notamment :

  • “La mise en œuvre simplifiée de dérogations temporaires […] en cas d’aléas climatiques ;

  • L’exemption des contrôles et sanctions sur la conditionnalité pour les exploitations de moins de 10 ha ;

  • Le respect de la [rotation des cultures] pourra être permis par la diversification des cultures et plus uniquement des critères de rotations par parcelle ;

  • La suppression de l’obligation de respecter un taux minimal d’éléments non productifs (haie, marre, bosquet, jachères…) […] ;

  • Face à certaines situations particulières […], des exemptions à l’interdiction de labour des prairies permanentes en zones sensibles ou Natura 2000 […].”

(Source: La France Agricole, Les mesures de révision de la Pac pourraient s’appliquer dès 2024, 26 avril 2024)

La proposition a été adoptée par le Parlement européen et doit maintenant être votée par le Conseil européen.

Sources :


La Ferme Inventée #11 - La Ferme des Dunes

J’aimerais vous parler d’un lieu que j’ai eu la chance de voir au cours d’un de mes nombreux voyages. En ce temps-là, j’étais jeune et fort, si fort qu’aucun endroit de la planète ne me faisait peur. Au contraire, mes envies d’explorations m’amenaient à chercher précisément les territoires hostiles, persuadé que la vraie aventure s’y trouvait. J’estimais que, dans le dépassement de moi-même, je trouverais la paix de mon esprit. Je n’avais donc de goût que pour les températures exagérées, les climats difficiles et les faunes menaçantes. J’étais même devenu un expert de l’extrême, à tel point qu’il me fallait toujours repousser mes limites et que les randonnées les plus complexes devenaient pour moi une promenade de santé.

Malgré tout, je dois admettre que j’ai été servi par le Désert du Mananjira. On pense que tous les déserts se ressemblent. C’est faux. Le vide n’est jamais le même partout et d’ailleurs le vide n’est jamais tout à fait vide. D’aucun ont des dunes de sables à perte de vue. D’autres des étendues caillouteuses. Certains vous offrent en cadeau empoisonné des canyons asséchés. Il y en a même qui vont contre le cliché et se parent de terres glacées. A l’exception de ces dernières, le Mananjira cumulait tout ceci. D’abord du sable, du sable et encore du sable. Puis des cailloux à vous user tous les pieds du monde. Et enfin des reliefs arides comme le cœur du plus mauvais des hommes. Un paysage à ne plus savoir quoi mettre dans son sac et comment se chausser. Et surtout, une chaleur à rendre fou, à tel point que chaque vêtement sur votre peau est une souffrance et que cette fameuse peau prend en un jour des couleurs que vous lui pensiez interdites. Ce qui n’empêche pas les nuits d’être froides comme la mort, histoire d’encore plus troubler la préparation de vos bagages. Le Mananjira est l’un des ultimes défis de l’aventurier et l’un de ceux – je dois l’admettre – qui m’a le plus renvoyé dans mes cordes. 

Il n’y a qu’une seule et unique priorité quand on voyage dans cette fournaise : avoir la bonne carte des oasis. Car si le désert fourmille de pièges, il offre aussi des trésors cachés à qui sait les connaître. Or, n’écoutez pas les racontars des explorateurs orgueilleux qui vanteront leurs meilleurs tracés. Une seule carte vaut : celle de ceux qui habitent ici. Il n’est en effet aucun lieu sur terre, fut-il le plus hostile, le plus dénué de ressources, qui ne soient totalement vidé de présence humaine. Chaque endroit du monde a ses locaux et on serait bien présomptueux de croire avoir « découvert » quoi que ce soit. Que les plus misanthropes se rassurent néanmoins, certains espaces permettent d’augmenter considérablement les intervalles et les distances entre chaque rencontre. Le Mananjira est de ceux-là.

Parti d’un village de ces fameux gens du désert, cela faisait ainsi deux bonnes journées et deux nuits que je n’avais pas croisé âme qui vive. Ma monture allait bon train dans une succession obstinée de dunes. Nous étions dans la partie des sables, qui réussissait l’exploit d’être monochrome sans être monotone. Les reliefs imprimaient sur moi une réelle fascination, et n’étaient supplantée que par les couleurs du ciel au couchant et au levant. Le soleil était tout à la fois mon plus grand ennemi et mon plus grand allié, en cela qu’il était ma meilleure boussole dans ce décor mouvant. Mes réserves d’eau, parfaitement calibrées, commençaient à réduire, mais je me savais proche de l’oasis de Sil Varm que j’allais atteindre au crépuscule. Je me réjouissais par avance de ce moment où j’allais pouvoir boire sans limites. La soif est une camarade de route encore plus pénible que la faim. 

C’est dans cette matinée, où le soleil n’avait pas attendu le zénith pour luire à tous rayons, que je vis le prodige. Là, au milieu de dunes à taille de collines, une oasis verdoyait. Elle ressemblait à celles de ces récits qui aiment surfer sur l’exotisme : une marre d’eau bleutée, entourée de buissons touffus, de dattiers et de palmiers. Encore plus prodigieux, elle était flanquée d’une ferme. Je ne pouvais appeler autrement ce bâtiment brun fait de terre cuite entouré de champs labourés. Mon grand-père était agriculteur et j’avais passé toutes mes vacances à la campagne. Grâce à lui, je savais reconnaître le savoir-faire d’un paysan. Cette ferme n’en manquait clairement pas. Les sillons étaient parfaits et l’environnement avait dû demander un système d’irrigation optimal. Quiconque se trouvait ici, y était depuis longtemps.

Tandis que ma monture, indifférente à ma surprise, avançait obstinément, je restais bouche bée. Je savais que les oasis pouvaient se trouver dans des endroits inattendus. Il suffisait d’une rivière perdue, d’une nappe phréatique isolée, d’une marre souterraine… pour rendre miraculeusement fertile un lopin arraché au désert. Je savais aussi que la main de l’homme était souvent responsable de ces aménagements. Pour autant, je n’avais jamais vu une oasis aussi surprenante et aussi isolée. Elle semblait vraiment sortir de nulle part. Sans réfléchir, je lançai ma monture vers elle. 

Lorsque j’approchais, ma surprise redoubla en apercevant une boîte aux lettres rouillée à côté du bâtiment. Quel facteur intrépide pouvait bien venir jusqu’ici ? Un avion aéropostal peut-être ? J’en étais là de mes questions lorsqu’un vieil homme sortit de la maison pour venir à ma rencontre. Il avait les cheveux d’une blancheur étonnante, qui ressortait par contraste sur son visage buriné. Ses yeux, perpétuellement plissés par un grand sourire, n’étaient que de fines fentes. Il était mince mais pas malingre. Ses muscles secs et tendus laissaient deviner un homme encore en forme pour son âge. Sans une parole, il m’invita en geste à venir à l’intérieur. Là, dans son logis de terre, épuré mais confortable, dans la délicieuse fraîcheur des murs, il m’offrit une bouillie succulente et l’eau la plus pure que je n’avais jamais bue. Il eut même la gentillesse de dédier une écuelle à ma monture. Lorsque je sortis de l’argent pour le remercier, il secoua la tête en souriant.

L’irréalisme de tout ceci était si fort que j’osais à peine parler. Mes compliments, mes remarques sonnaient creux et ne provoquaient en réponse qu’un sourire. A l’heure de repartir, tout chamboulé, j’hasardais tout de même quelques questions dans la langue que je savais la plus commune du coin. Le vieil homme me répondit dans un phrasé impeccable. 

« Pourquoi cette boîte aux lettres ? 

— Si jamais des gens veulent m’écrire.

Il y a des gens qui vous écrivent ?

— Non. Mais si je l’enlève, personne ne pourra jamais m’écrire. 

— Vous êtes ici depuis longtemps ? 

— Depuis que des gens ont besoin de s’arrêter ici pour manger et boire. 

— Qui s’arrête ici ? 

— Des gens comme vous. 

— Et le reste du temps ?

— Le reste du temps, je cultive pour moi.

— Vous n’êtes pas trop seul ? 

— Bien sûr que non puisque vous êtes là. »

Un silence se fit. Je ne savais plus quoi ajouter. Ce fut donc sur cette dernière remarque étrange que je repartis, non sans avoir proféré moults remerciements que le vieillard accueillit avec son éternel sourire. J’eus pour le reste de la journée le ventre plein de nourriture et la tête pleine de questions. 

Une fois arrivé au village de l’oasis de Sil Varm, j’interrogeais les habitants sur cette oasis qui ne figurait sur aucune carte. Personne n’en avait entendu parler. A l’écoute de mon récit, les gens haussaient les sourcils voire même se marraient franchement. On me parla de mirage, de coup de chaud. Agacé, j’expliquais que la nourriture que je digérais encore était bien réelle. Je fis goûter mon eau. On la trouva normale. J’y trempais de nouveau les lèvres. Effectivement, elle n’avait plus ni la fraîcheur, ni la pureté de ce matin mais mes vieilles gourdes étaient peut-être en cause. Désespéré qu’on me prît pour un fou et n'y comprenant plus rien, je sortis me balader et observer le ciel. La voûte céleste, sublime dans ces endroits où l’homme est rare, est de nature à apaiser le cœur le plus agité. Tandis que je contemplais les étoiles, un ancien s’approcha de moi : 

« J’ai entendu ton récit, étranger, fit-il d’une voix douce. Moi aussi j’ai vu cette oasis autrefois. 

— Mais alors, j’avais raison, m’exclamais-je. Ne voulez-vous pas venir le dire à tout ceux qui se sont moqués de moi ?

— Qu’importe leur avis, étranger. Il faut laisser au désert ses mystères et aux mystères leur désert. A mon humble avis, le monde serait bien triste, si toutes les questions devaient trouver une réponse. » 

Puis, sans rien ajouter, l’ancien s’en alla, me laissant seul face à la nuit. 

Douglas Le Doux, explorateur (extrait de ses « Carnets des Déserts »)


Merci à Vincent Leconte (Instagram) pour ce voyage et un grand merci, chers lecteurs, chères lectrices, pour votre lecture ! N’hésitez pas à nous envoyer vos retours et suggestions. Pensez aussi à partager cette newsletter autour de vous ☀️ 

À bientôt !