Bonjour à toutes et tous,
Ce mois-ci, attardons-nous quelques instants sur les Safer, sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural. Il s’agit d’établissement publics cruciaux en matière d’installation agricole et d’accès aux terres.
Nous continuerons en deuxième partie avec le retour de la Ferme Inventée, pour une neuvième édition.
Bonne lecture !
Les Safer
Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, ou Safer, ont été créées par la Loi d’orientation agricole de 1960. Ce sont des établissements publics, sans but lucratif, placés sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances.
Selon la loi de 1960, des Safer “peuvent être constituées en vue d'acquérir des terres ou des exploitations agricoles ou forestières librement mises en vente par leurs propriétaires, ainsi que des terres incultes […]” avec pour but, “notamment, d'accroître la superficie de certaines exploitations agricoles ou forestières, de faciliter la mise en culture du sol et l'installation ou le maintien d'agriculteurs à la terre et de réaliser des améliorations parcellaires”.
En bref, l’objectif est alors de participer à la modernisation de l’agriculture en France via un outil d’intervention sur le marché foncier rural. A ce titre, en 1962, les Safer sont dotées d’un droit de préemption, c’est-à-dire qu’elles doivent être informées des projets de vente de bien ruraux et peuvent les acquérir en priorité, en lieu et place de l’acquéreur initial.
Quelles sont leurs missions aujourd’hui ?
Les missions initiales des Safer ont depuis évolué. Dans sa dernière version, le Code rural octroie aux Safer les objectifs suivants :
“[…] Favoriser l'installation, le maintien et la consolidation d'exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional […]” avec toujours un droit de préemption, en facilitant notamment l’installation de jeunes agriculteurs ;
“[Participer] à la diversité des paysages, à la protection des ressources naturelles et au maintien de la diversité biologique et [contribuer] au développement durable des territoires ruraux […] ;
[Assurer] la transparence du marché foncier rural.” Cela implique notamment une veille du marché foncier rural avec des outils accessibles à différents publics, tels que Vigifoncier ou le site web Le prix des terres
Il existe 16 Safer : une par région métropolitaine ainsi que pour la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. Elles forment le groupe Safer avec la Fédération nationale des Safer (FNSafer) et le bureau d’études national Terres d’Europe-Scafr .
Depuis 2017, l’Etat ne finance plus les Safer. Celles-ci se rémunèrent en grande partie via les prestations de services qu’elles réalisent lors de substitutions (lorsque la Safer est bénéficiaire d’une promesse de vente et la cède à son attributaire) ou de rétrocessions (lorsque la Safer vend un bien à un candidat dont le projet a été validé).
Concrètement, comment les Safer décident-elles de l’attributaire d’un bien ?
Au sein de chaque Safer, il existe un comité technique, composé de représentants d’organisations agricoles (chambres d’agriculture, banques et assurances, syndicats), de collectivités territoriales, de l’Etat, et parfois d’autres organismes (notaires, associations de protection de l’environnement, etc.). Le comité est chargé d’examiner les dossiers des candidats à l’achat d’une terre ou d’une exploitation et d’émettre un avis.
Suite à l’avis émis par le comité technique, le conseil d’administration de la Safer prend une décision. Le conseil d’administration rassemble les représentants de ses actionnaires, c’est-à-dire des organisations agricoles et des collectivitiés territoriales.
Enfin, les commissaires du gouvernement, qui représentent l’État, valident la décision.
Quelques points de préoccupation concernant les Safer
La Cour des Comptes a publié plusieurs rapports sur les Safer. En 2014, le rapport annuel de la Cour des Comptes titre : “Les SAFER, les dérives d’un outil de politique d’aménagement agricole et rural”. Il note que les Safer mènent “de manière très indépendante, des activités diversifiées et peu contrôlées par les pouvoirs publics” et leur gestion" “reste très contrôlée par le monde agricole, notamment par le syndicat majoritaire" [la FNSEA]. En 2019, Le Monde diplomatique note ainsi que “le désengagement de l’État en milieu rural et le dévoiement de ses outils de régulation se manifestent par l’inflation des prix des terres cultivables. En abandonnant au marché cette ressource limitée et non reproductible, les pouvoirs publics entravent l’installation de jeunes exploitants et fragilisent la profession agricole, qui peine à assurer son renouvellement générationnel.”
La Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 a repris certaines recommandations, telles que la restructuration territoriale des Safer, la mise en œuvre de programmes pluriannuels d’activités ou encore l’extension du champ des transactions notifiées aux Safer pour apporter davantage de transparence sur le marché.
En 2020, la Cour des comptes a recommandé un renforcement du cadre d’intervention des Safer, devant permettre de limiter les contournements des outils de régulation classiques, sous le contrôle renforcé de l’État.
Enfin, le média Splann ! a publié en septembre 2023 une enquête sur les Safer* notant notamment le “clientélisme syndical” qui freine l’installation de jeunes agriculteurs tout en favorisant l’agrandissement d’exploitations existantes.
*L’enquête étant inaccessible sur le site de Splann ! à l’heure où j’écris ces lignes, ce lien vous renverra vers un article de France 3 Bretagne portant sur cette enquête
La Ferme Inventée #9 - La Ferme des Ruines
La vieille dame insère la clef dans la serrure rouillée. Après un cliquetis, elle pousse la grille de ses mains noueuses et tachetées de marron. En protestation, le métal bruni par les années lance un cri à réveiller les morts. Il lui faut toute sa force, à la vieille, pour pousser cette entrée bruyante. Pourtant, son visage ne transmet dans l’effort qu’une sérénité calme. Alors qu’à chaque fois, la grille résiste davantage, l’arrivée est plus lente. Et après ? Si ça doit durer des heures, ça durera des heures. Elle partira plus tôt de sa petite mansarde, et puis voilà. De toute façon, la vieille dame a le temps. Si elle était plus jeune, c’est vrai, elle pourrait s’éviter ce passage. Les murs alentours sont tous troués. On y trouve à coup sur des entrées détournées. Mais il faut crapahuter sur des roches branlantes et la vieille dame n’a plus le corps pour ça.
La voilà dans ses ruines. Comme à chaque fois, elle s’arrête un instant pour humer l’air. Un parfum de mousse, de rocaille et de fleurs lui inonde les narines. Un parfum de vieux, aussi, qui lui ressemble. Devant elle, il y a des murs de pierres grises envahis de lierres, des herbes folles, des vestiges de portes et fenêtres, des traces de pièces, des souvenirs de cours et de jardins. Dans ce décor où les plantes se marient aux roches, c’est un petit labyrinthe, caché. Les plantes sont hautes, les nuances de vert, nombreuses. Elle marche dans cet ensemble de parois, construit autrefois au milieu d’une prairie maintenant sans nom, après la forêt qui peut-être en a encore un. C’est la forêt où elle vit, en tout cas.
Que sont ces ruines ? Un témoignage du passé. Avant, tout ceci c’était… Quoi, au juste ? Une maison ? Un manoir ? Une école ? Une mairie ? Autre chose ? Seule la vieille le sait. Et pour le visiteur qui ne serait pas la vieille, les lieux sont avares en indices et gourmands en secrets. Un expert trouverait sans doute quelques clefs à ces énigmes, mais pour le quidam, les pierres grises se ressemblent toutes.
La vieille dame se meut dans ces lieux avec aisance. Ses pieds maigres, chaussés de chaussettes et de sandales, semblent connaître chaque piège, chaque pierre traîtresse, chaque bosquet d’orties, chaque ronce chatouilleuse. En sifflotant un air anachronique, elle avance dans la lumière dorée du matin, passe quelques porches. Oiseaux et insectes lui chantent la bienvenue. Les sauterelles affolées sautent dans tous les sens sur son passage. On voit même une rainette. Enfin, la vieille arrive au centre de la ruine. Là, au milieu du chaos et de l’ancien, c’est tout comme un mirage. Entre quatre murs sans toit, dont on ne sait comment ils tiennent, les sillons d’un petit champ s’en vont d’un bout à l’autre. Quatre potagers font concours de couleurs. Le soleil leur parvient par un grand affaissement de mur. S’il y a quelques surprises parmi les légumes de cette ferme secrète, la part belle n’en est pas moins donnée aux grimpants, aux rampants, aux touffus, aux buissons. À ceux qui aiment monter, s’accrocher, se perdre en méandres et embrasser la roche. Courges, mûres, framboises, fraises et autres lierres. Ils s’ébattent tranquillement dans ce terrain de jeu. A côté d’eux, les quelques variétés des champs font figure d’enfants sages. La vieille dame regarde tout ceci en souriant. C’est sa petite ferme à elle. Cachée. Mystérieuse. Elle est toujours un peu ébahie de la retrouver comme elle l’a laissée la veille. Elle se dit parfois que si elle arrivait un matin pour ne trouver que des ruines sèches et sans fruits, elle ne serait pas tellement surprise. Elle se dirait simplement : « Bon, le rêve est terminé ». Et s’en retournerait dans la forêt, chercher une autre occupation pour ses mains noueuses.
La vieille dame va lentement voir chacune des plantes avec tendresse. Elle sait qu’elles se débrouillent très bien toutes seules la plupart du temps, mais que parfois, il faut qu’elle intervienne. Pour empêcher un envahisseur de prendre trop de place. Pour tailler, juste ce qu’il faut. Arroser, si besoin. Encore que les pluies de la région soient généreuses. Des petites attentions pour celles qui en ont besoin. La liberté pour les autres. Après tout, elle ne les a même pas toutes plantées. Certaines étaient déjà là avant qu’elle vienne semer ses graines. En silence, la vieille dame remercie les oiseaux et les animaux du bois de lui avoir laissé une aussi grande part. Puis, sans hâte, elle récupère ce qui est mûr et l’apporte tranquillement jusqu’à une autre pièce à toit ouvert.
Sa silhouette menue, faite d’habits beiges, semble aussi fragile que les murs. On a envie de lui crier : « Attention ! », tant les dangers semble grands dans ce lieu délabré, pour une silhouette si frêle. Une pierre qui tombe, une mauvaise chute… Mais la vieille dame n’en a cure. Elle sait que ce lieu la traite avec respect. Ils sont faits de la même étoffe, celle des oubliés. Une ombre parmi les ombres. Pourtant ce n’est pas pour elle seule qu’elle entretient la ferme des ruines. Sa journée n’est pas faite que de solitude.
La voilà dans un endroit plus étroit, où le mur le plus haut est percé d’une grande fenêtre. Avec sa planche de bois, elle ressemble à un comptoir. Devant, à l’extérieur des ruines, une petite clairière. Les herbes sont moins hautes, plus écrasées. C’est signe qu’il y a plus de passage. D’ailleurs, au loin, à l’entrée d’un autre bois, on aperçoit une route de terre. La vieille dame récupère un panneau perdu dans les fourrés. Avec un marqueur épuisé, elle corrige les prix et les produits du jour. Puis, elle vient le placer en évidence. Ensuite, avec la patience de ceux qui en ont vu, elle dispose ses fruits et légumes. Certains dans de grandes caisses en bois, d’autres dans de petites barquettes en cartons. Les plantes aromatiques, les infusions, dans des bocaux. Elle installe son petit magasin, étal arrivé là comme par magie. À la voir agir ainsi, lentement et précautionneusement, on jurerait qu’elle a fait ça toute sa vie. Et qu’elle a toute la vie devant elle.
La vieille dame va maintenant, claudicante, jusqu’à la route avec un deuxième panneau. Elle l’adosse à un arbre, le cloue à la va comme je te pousse. Elle sait qu’il y a un troisième panneau, plus loin, sur une plus grande route. Celui-là, elle n’a pas besoin d’y toucher. Il dit toujours la même chose. « Produits de la Ferme des Ruines, 500m à gauche ». Et puis des horaires. Il faut juste vérifier de temps en temps qu’il ne sait pas fait la malle, le panneau, surtout quand le vent a soufflé.
Bientôt, les clients vont venir. Quelques habitués, d’autres amenés là par le hasard des chemins. Certains demanderont des nouvelles. D’autres s’émerveilleront devant le calme du lieu, sa magie. Il y a aussi ceux qui ne diront pas grand-chose. Ceux encore qui s’attarderont, comme si pas fait exprès. Tous repartiront les bras chargés et le cerveau curieux. Même ceux qui viennent souvent ne connaissent rien des énigmes du lieu. Tous se demanderont, pour la première ou la énième fois, quelle est donc cette ruine. Et pourquoi la vieille dame, à chaque vente, dépose dans sa main un baiser, avant de le donner à la pierre, de la pluie dans les yeux.
Vincent Leconte (Instagram)
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