La Chèvre et le chou · Portraits de l'agriculture aujourd'hui

Tous les mois, un focus sur le monde agricole ou un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse, agrémenté d'un petit récit d'invention.

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Par Lucie B.
31 oct. · 6 mn à lire
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Les syndicats professionnels agricoles

Hors-série #2 sur les organisations professionnelles agricoles en France

Bonjour à toutes et tous,

Ce mois-ci, nous allons nous attarder sur un type d’organisation professionnelle agricole dont on entend régulièrement parler : les syndicats agricoles. Quels sont-ils et à quoi servent-ils ?

On retrouvera bien sûr, en fin de lettre, la sixième édition des Fermes Inventées, toujours inventées par Vincent Leconte.

Les syndicats agricoles en France

Commençons par un peu d’histoire.

Après la création du Ministère de l’agriculture en 1881, le syndicalisme agricole est né en France avec l’entrée en vigueur de la loi Waldeck-Rousseau de 1884 qui a autorisé la constitution de syndicats professionnels. A la même époque, l’État légifère aussi en faveur de la création de sociétés de crédit agricoles, coopératives et systèmes de mutuelle.

Les premiers syndicats sont d’abord des « syndicats boutiques », qui groupent les commandes (engrais, outils, semences, etc.) et peuvent assurer divers services (assurances, crédit, etc.). Les premières coopératives assurent des fonctions assez comparables. Toutes ces organisations ont une fonction de service, à caractère souvent technique et économique. Les paysans ne sont pas directement représentés par d’authentiques producteurs, mais par des notables”1 - avec deux syndicats principaux, l’un proche des monarchistes, plutôt conservateur, et l’autre proche des notables laïcs, davantage républicain.

Durant l’entre-deux-guerres, différentes initiatives voient le jour, avec par exemple une tentative d’unification du syndicalisme agricole dans la Confédération nationale des associations agricoles. Pendant ce temps-là, l’État crée les Chambres d’agriculture (voir le précédent hors-série) et les dote peu à peu de prérogatives de représentation des acteurs agricoles. Les organisations agricoles se politisent, avec une opposition persistante entre “conservateurs” et “républicains”.

Timbre France Poste, n°607, Yvert et Tellier Timbre France Poste, n°607, Yvert et Tellier

Le régime de Vichy voit l’aboutissement d’un souhait d’”unité paysanne” avec la création de la Corporation paysanne. Organisation professionnelle unique, verticale et centralisée, elle contrôle les activités de crédit, de coopération et de mutualité agricoles.

A la fin de la Seconde guerre, la Corporation paysanne est dissoute et remplacée par la Confédération Générale de l’Agriculture qui vient chapeauter un syndicat agricole national : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), créée en 1946. Celle-ci monte progressivement en puissance.

Parallèlement, la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), créée à la fin des années 1920, se transforme en Cercle national des jeunes agriculteurs (CNJA), qui reste intégrée à la FNSEA compte-tenu du principe d’unité syndicale. Les revendications de la CNJA convergent avec les objectifs de modernisation de l'agriculture visés par l’État : “une agriculture française compétitive en vue de la création du marché commun européen. Cette collaboration aboutit à la mise en place d’un système de cogestion pour la conception et la mise en œuvre de la politique de modernisation. […] Le principe de l’unité paysanne est ainsi convoqué pour faire accepter le modèle de modernisation de l’agriculture auprès de l’ensemble du monde agricole.2

Mais cette unité est rapidement remise en cause par une population paysanne très hétérogène et différents mouvements se créent peu à peu, notamment le Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux (MODEF) en 1959. Pour autant, le pluralisme syndical, qui s’établit par étapes, n’est pleinement reconnu par l’État qu’à la fin des années 1990.

C’était un peu long, certes, mais le contexte est utile.

Quels sont donc, aujourd’hui, les syndicats agricoles en France ?

  • La FNSEA, vous l’aurez compris. Syndicat professionnel majoritaire du secteur avec 55% des suffrages lors des élections aux Chambres d’agriculture de 2016 en liste commune avec les Jeunes agriculteurs. La FNSEA est régulièrement accusée par d’autres organisations de promouvoir une agriculture intensive, fondée sur la productivité et la rentabilité.

  • Jeunes agriculteurs, dont les représentants ont moins de 38 ans, plutôt proche de la FNSEA.

  • La Coordination rurale (CR), créée en 1992, avec 22% des suffrages en 2016. Si elle se revendique apolitique, la CR est fréquemment catégorisée d’extrême-droite.

  • La Confédération paysanne (CP), créée en 1987, avec 20% des suffrages en 2016. Généralement classée à gauche, la CP milite pour une agriculture dite paysanne et se place en opposition à l’industrie agroalimentaire.

  • Le MODEF, dont on a parlé plus haut, avec 1,9% des suffrages en 2016. Le MODEF milite pour des prix minimum garantis et une intervention publique sur les marchés agricoles, et se place également en opposition à l’industrie agroalimentaire.

Quel est le rôle de ces syndicats ?

Les syndicats agricoles travaillent en collaboration avec les autres organisations professionnelles agricoles (coopératives, mutualité, Chambres d’agriculture) afin de porter leurs revendications et les intérêts des acteurs agricoles qu’ils représentent. Ils réalisent également des actions de lobbying, notamment au niveau national et européen.

Quelques exemples récents :

  • En avril, le MODEF a organisé des États généraux de l’agriculture familiale visant à échanger sur l’agriculture familiale lors d’ateliers et de conférences

  • En mai, dans le cadre d’une concertation nationale, la FNSEA a présenté ses propositions pour le Pacte et Loi d’Orientation et d’Avenir Agricole

  • En juillet, la Coordination rurale a publié ses recommandations pour le renouvellement du “Plan national loup”

  • En octobre, dans le cadre de la “journée internationale d'actions pour la souveraineté alimentaire”, la Confédération paysanne a lancé une campagne visant à promouvoir et défendre la souveraineté alimentaire

  • En octobre toujours, Jeunes agriculteurs a présenté ses propositions pour la transmission des exploitations dans le cadre du Projet de Lois de Finances 2024

Pour en savoir plus sur l’histoire du syndicalisme agricole en France, je vous recommande ces deux articles détaillés :

1Cordellier, S. & Le Guen, R. (2008). Organisations professionnelles agricoles : histoire et pouvoirs. Pour, 196-197, 64-79. https://doi.org/10.3917/pour.196.0064

2Gauvrit, L. (2012). FRANCE. Le syndicalisme agricole et sa place dans la mise en place de la politique agricole. AGTER. https://www.agter.org/bdf/fr/corpus_chemin/fiche-chemin-134.html

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La Ferme inventée #6 - La Petite Ferme cachée

« Bon, écoutez on va reprendre du début parce que là c’est un peu confus. Que faisiez-vous dans cette maison abandonnée ?

— Hé bien, je travaille dans l’immobilier, vous savez. Cette maison, bon, on venait de l’acheter avec le cabinet, ça faisait des mois que personne n’y vivait. Je suis donc allé la visiter avec un collègue pour estimer l’ampleur des travaux à faire avant de la louer.

— Et quand vous êtes entré dans le salon, vous avez entendu du bruit, c’est bien ça ?

— Oui, tout à fait. C’était un bruit très léger, comme un grattement qui provenait d’une armoire. Je me suis dit : “bon sang, des souris !” Je ne saurai pas trop dire pourquoi, mais j’ai voulu les prendre sur le fait. Je me suis donc approché du mur et… Ah oui, un truc que vous devez savoir sur moi, Monsieur l’agent, c’est que je suis extrêmement discret.

— D’accord…

— Non, non mais vraiment discret ! Je veux dire : c’est comme ça depuis l’enfance. Le nombre de personnes que j’ai fait crier sans le vouloir juste parce qu’elles ne m’avaient pas vu arriver…

— Je ne vois pas bien où vous voulez en venir.

— Je pense que c’est comme ça que je les ai eus. Je veux dire : pour ne pas être découverts, ça doit être des champions de « cache-cache », vous pensez bien. Sinon, ça ferait longtemps qu’on saurait qu’ils existent. Là, ils ne m’ont même pas entendu entrer, ni approcher. Deux gros coups de bol. Alors j’ai ouvert la porte…

— Et c’est là que vous les avez aperçus ?

— Oui. Je pense qu’ils ont été tout aussi surpris que moi, vous imaginez !

— Racontez moi précisément ce que vous avez vu.  

— C’était comme une ferme. Mais en toute petite. Le hangar, c’était une boîte d’allumettes. Ils avaient creusé des trous pour la porte et les fenêtres. C’était mignon comme tout. J’imagine qu’il y avait d’autres pièces dans la maison, mais je ne les ai pas vues.

— Attendez… Vous avez dit une ferme ? Ils cultivaient quoi ?

— Ah Monsieur l’agent, c’est là que ça devient ingénieux. Ils avaient installé et tassé du coton sur le sol du tiroir et y avaient planté du blé. Exactement comme les mioches pour les fêtes de début d’année ! Vous voyez de quoi je parle ? Ça faisait un grand champ dans lequel on les voyait à peine. Il y avait une pipette qui leur servait à arroser, au goutte à goutte. Fallait la force de beaucoup d’hommes pour l’actionner, je pense. Pour récolter le blé, ils manœuvraient un grand ciseau qu’ils avaient placé sur une planche de bois à roulettes. Un ancien piège à souris réhabilité, j’ai l’impression. C’est drôle, ils utilisaient aussi des chariots de jouets pour amener la récolte, vous savez, ceux des petites figurines. Et de petits dés à coudre pour faire des paniers. Mais ce n’est pas tout ! Il y avait aussi un pot de fleur dans lequel ils avaient réussi à faire pousser une laitue. Vous imaginez, une simple laitue, toute la nourriture que ça pouvait leur donner ! Vous auriez dû les voir, arracher les bouts de salade à main nue, enlever la terre avec une brosse à dent manœuvrée par quatre petits hommes, piquer les morceaux avec des cure-dents pour les ramener au hangar ! Dans le fond, il y avait aussi de gros bocaux avec des réserves de féculents : pâtes, riz… Ils y avaient apposé de toutes petites échelles pour aller récupérer les denrées. Le moindre spaghetti, c’était un festin. Par contre je ne sais pas s’ils les faisaient cuire… C’est que le feu, dans une armoire, c’est risqué. Peut-être à un autre endroit de la maison ? Il y avait juste une grande bougie qui semblait servir de phare. Je crois même qu’il y avait un petit élevage de fourmis dans un coin du tiroir, ça me revient maintenant. Peut-être que ça leur servait de viande ? Ou pour se déplacer, comme on fait avec les chevaux ?

— Tout ça dans un placard ?

— Faut dire que c’était une grosse armoire à l’ancienne ! C’est massif, ces machins. Et ce n’est pas tout d’ailleurs ! Dans un tiroir plus bas, il y avait un autre hangar, plus grand, dans une boite à chaussures. Le toit était ouvert. À l’intérieur, ils avaient pris deux casse-noix et s’en servaient visiblement pour presser des fraises et faire du jus. Ils le récupéraient dans de toutes petites tasses de poupée. Sur le terrain de la maison, il y a un fraisier. Je l’ai vu en arrivant. Je n’ose même pas imaginer le temps que ça leur prenait d’aller chercher les fruits… À cet étage-là, il y avait aussi un gant à four qui devait servir d’espace de repos, tout douillet comme il était. J’ai vu aussi un tupperware rempli d’eau, comme une sorte de bassine. Pour se déplacer d’étage en étage, figurez-vous qu’ils avaient installé des sortes d’ascenseurs : un trou tout rond dans le bois et tout un système de poulies avec des câbles informatiques, du fil de couture et des petits pots de yaourts pour les passagers. De vrais petits ingénieurs ! Dites Monsieur l’agent, j’ai l’impression que vous n’écrivez pas trop ce que je vous raconte.

— Si, si, bien sûr… J’essaye simplement d’être synthétique. C’est que la hiérarchie nous demande d’être très synthétique pour nos rapports… Hum. Et les petits êtres, ils ont fait quoi en vous voyant ?

— Bon, je vous avoue que toute cette scène-là, je l’ai un peu extrapolée. En vérité, je ne les ai pas trop vu travailler. Ils ont décampé avant même que j’ai le temps de dire « ouf ». Je ne saurai même pas dire par où… C’est allé si vite. J’imagine qu’ils doivent avoir des tunnels partout dans la maison. Mais en observant les outils, j’ai déduit, quoi.

— Vous pensez donc qu’ils étaient partout dans la maison ?

— Oui. Moi, je n’ai vu que la ferme, mais j’imagine qu’ils s’étaient installés partout. Plutôt dans les combles et les murs, je pense. C’est moins risqué… La ferme, c’était peut-être le seul endroit un peu accessible, pour des raisons de circulation d’air, d’humidité… Parce que dans les murs, à part faire pousser des champignons… Je n’en sais rien, je n’ai pas pu vérifier. Ça m’a fait un trop gros choc, je suis sorti.

— Et c’est là que vous avez sauté en hurlant sur votre collègue qui inspectait le jardin.

— Oui… Je me suis un peu emporté, je crois. Un mélange de peur, de surprise, d’excitation. Au fond, je voulais juste qu’il vienne voir…

— Très bien. On va vous faire passer quelques tests si vous le voulez bien. »

(…)

« Bon alors, et ton entretien de l’après-midi, le mec qui a vu des lilliputiens ? Tu vas faire quoi ?

— Par acquis de conscience, j’ai envoyé une patrouille à la maison. Rien du tout. Enfin, si une boite d’allumettes, une boite de chaussure, mais vides. Une bougie éteinte. Pas de signe d’activité : quelques miettes, des bouts de verdure, tout au plus. Le genre de chose qui peut complètement provenir de souris. Pas de ferme en tout cas. Ce pauvre garçon a dû tomber sur la tête. C’est curieux, tout de même. Aucun antécédent hallucinatoire, psychiatrique, rien. Le test éthylique n’a rien donné, pareil pour la drogue. Il est reparti tout penaud le pauvre. Je pense qu’il a compris qu’on le prenait pour un dingue.

— Oui, c’est curieux pour les tests. Peut-être une substance qu’on ne connaît pas encore ?

— Peut-être. Tu aurais dû le voir raconter, il avait l’air d’y croire vraiment… Imagine s’il avait raison ? »

Merci d’avoir lu jusqu’ici ! J’espère que cette newsletter vous aura appris des choses et vous donnera envie d’en savoir plus sur les syndicats du secteur agricole.

Comme toujours, un immense merci à Vincent Leconte de nous régaler chaque mois d’une nouvelle ferme imaginaire.

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