La Chèvre et le chou · Portraits de l'agriculture aujourd'hui

Tous les mois, un focus sur le monde agricole ou un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse, agrémenté d'un petit récit d'invention.

image_author_Lucie_B.
Par Lucie B.
31 oct. · 5 mn à lire
Partager cet article :

Les Chambres d'agriculture

Hors-série #1 sur les organisations professionnelles agricoles en France

Bonjour ! J’espère que vous passez un bel été, joyeux et ressourçant.

Ce mois-ci, pas d’entretien avec un.e agriculteur.rice ou éleveur.euse, mais un focus sur l’un des organismes agricoles les plus importants en France : les Chambres d’agriculture. J’en entends souvent parler, au même titre que les syndicats agricoles et autres organisations professionnelles agricoles, sans bien savoir comment ces entités s’organisent et à quoi elles servent. Les prochains hors-séries leur seront donc dédiées, en commençant par les Chambres d’agriculture !

Et on ne se quittera pas sans une nouvelle édition de la ferme inventée, bien sûr, en deuxième partie de lettre.

À quoi servent les Chambres d’agriculture ?

L'histoire des Chambres d'agriculture, Les Chambres d'agriculture : missions et chiffres clés, 2023L'histoire des Chambres d'agriculture, Les Chambres d'agriculture : missions et chiffres clés, 2023

Après plusieurs tentatives infructueuses, les Chambres d’agriculture ont été créées en 1924 puis dotées de ressources en 1927 (c’est plus pratique). Le Code rural les a investies de trois missions :

  • Contribuer à l’amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles et de leurs filières

  • Accompagner dans les territoires, la démarche entrepreneuriale et responsable des agriculteurs ainsi que la création d’entreprise et le développement de l’emploi

  • Assurer une fonction de représentation auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales

N.B. Le Code rural et de la pêche maritime est l’un des codes juridiques spécialisés du droit français. Il couvre des sujets tels que l’aménagement de l’espace rural, la santé publique vétérinaire, les exploitations agricoles, les baux ruraux, les organismes professionnels agricoles, etc.

En résumé, les Chambres d’agriculture sont les organes chargés de représenter les intérêts des différents acteurs agricoles (exploitants, salariés, coopératives, syndicats, mutualités, etc.) et d’accompagner les exploitants agricoles dans leur développement.

Placées sous la tutelle de l’État, les Chambres d’agriculture ont un statut d’établissement public mais sont dirigées par des élus. Ce sont des organisations dites “consulaires”, au même titre que les Chambres de commerce et des métiers.

En 2023, le réseau des Chambres d’agriculture se décompose ainsi :

  • Une structure nationale : “Chambres d’agriculture France”

  • 13 Chambres d’agriculture régionales

  • 88 Chambres d’agriculture départementales et interdépartementales dont 5 en Outre-mer

  • 6 Chambres consulaires associées issues des collectivités d’Outre-mer

Cela correspond à 3 200 élus et plus de 8 000 collaborateurs pour un budget total de 750 millions d’euros par an (en 2021). Ces ressources proviennent principalement d’une taxe spécifique sur le foncier non bâti et des prestations assurées par les Chambres auprès des différents acteurs agricoles.

Tous les six ans, des élections permettent de désigner 45 à 48 élus par Chambre pour représenter les exploitants, anciens exploitants, propriétaires, salariés agricoles et d’organismes, groupements professionnels et les Centres Régionaux de la Propriété Forestière (CRPF). Le corps électoral est composé de 2,5 millions de personnes et 60 000 groupements professionnels.

Les dernières élections ont eu lieu en 2019 avec une participation à hauteur de 46%, en baisse par rapport aux précédentes élections :

  • La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), en liste commune avec les Jeunes agriculteurs (JA), a obtenu la majorité absolue avec 55,31% des voix.

  • La Coordination rurale (CR) est arrivée en deuxième position (21,54%) et dirige les Chambres de trois départements.

  • La Confédération paysanne a obtenu 20,04% des voix.

  • Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) a obtenu moins de 2% des voix.

La liste FNSEA/JA est arrivée sans surprise en tête des élections. Je ne donne pas plus d’informations car le prochain hors-série présentera en détail ces syndicats.

L’infographie ci-dessous présente la stratégie de la mandature actuelle, c’est-à-dire 2019-2025.

Nos 16 domaines d'activité stratégique, Le Projet stratégique 2019-2025 des Chambres d'agriculture - version mémo de poche, 2020Nos 16 domaines d'activité stratégique, Le Projet stratégique 2019-2025 des Chambres d'agriculture - version mémo de poche, 2020

D’accord, mais concrètement, que font les Chambres d’agriculture ? Voici quelques exemples :

  • Accompagner les exploitants agricoles dans les démarches (notamment administratives) relatives à la Politique agricole commune (c.f. cette précédente newsletter)

  • Accompagner les exploitants qui souhaitent réaliser une conversion de leurs terres à l’agriculture biologique

  • Soutenir les circuits cours grâce notamment à un programme dédié de vente directe à la ferme, “Bienvenue à la ferme”

  • Accompagner l’identification et la gestion de la traçabilité des animaux, notamment par la mise en oeuvre du registre national des détenteurs d’animaux prévu par la législation sur la Santé Animale de l’Union Européenne. En effet, tout animal d’élevage fait l’objet d’un numéro d’identification unique et d’un suivi spécifique.

  • Mener des actions de formation, de diagnostic, de conseil auprès des exploitants agricoles, accompagnement à l’installation et à la transmission

  • Coopérer avec le monde de la recherche sur des questions relatives à la transition numérique, à l’adaptation des pratiques face au dérèglement climatique

Les Chambres d’agriculture ont ainsi développé leurs propres marques proposant accompagnement et services aux acteurs du secteur, telles que Proagri pour les exploitants agricoles, Proviti pour les viticulteurs et Terralto pour les collectivités locales. Elles proposent aussi des solutions numériques pour la gestion des parcelles.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site Internet des Chambres d’agriculture. Cette courte vidéo de franceinfo, quoiqu’un peu datée, est aussi bien pensée.

La Ferme inventée #4 - La Digi-Ferme

J’ouvre les yeux sur d’agréables sons de chants d’oiseaux et de clapotis d’eau. L’IAR (Intelligence Artificielle de Référence) de mon appartement a poussé le vice jusqu’à projeter un paysage de forêt sur les parois blanc crème de ma chambre. Je me lève, m’étire et consulte d’un œil distrait les données de mon sommeil. J’ai bien dormi, je me suis peu réveillé pendant la nuit. Il n’y a aucune alerte, je ne m’attarde donc pas. J’en connais qui ont la manie de consulter les informations sur leur sommeil. Pas moi. Je vais dans le salon, le petit déjeuner est déjà prêt. L’IAR a scanné mes rêves, analysé mes recherches récentes sur le Réseau, effectué un contrôle de mes données corporelles. Elle sait donc déjà ce qui est bon pour moi et a eu la délicatesse de faire un peu de compromis avec mes envies. En face de moi, tandis que je mange un mélange nutritif le plus équilibré possible, la fenêtre est programmée sur « ville antique ». Je ne vois donc pas des immeubles, mais un spectaculaire paysage de cité romaine. C’est intéressant, ces fenêtres connectées. À cause d’elles, je connais des gens qui auraient du mal à décrire la ville où ils vivent. Il faut dire qu’ils ne sortent plus trop de chez eux. À quoi bon ? On a tout ce qu'il faut chez nous. Le Réseau pour s’évader et travailler. L’IAR pour qu’on reste en bonne santé. L’IAR pour tout le reste, en fait.

Comme tous les matins, avant de prendre une douche chronométrée, automatique et rationalisée, je vais voir ma ferme. Tout le monde en a une, maintenant. Chaque maison. Chaque appartement. Un petit coin de verdure sur quelques mètres carrés. Des mini-champs. Un potager. La Digi-Ferme. C’est devenu une pièce indispensable dans un logement, comme la chambre, la cuisine, la salle de bain ou les toilettes. La mienne est minuscule. Il y a à peine l’espace pour faire rentrer trois personnes. Mais ce petit bout d’endroit m’offre chaque jour des légumes et des fruits frais, sans compter les herbes et les champignons. Je n’ai rien à faire pour ça. L’IAR s’occupe de tout. Lorsque j’entre dans la Digi-Ferme, elle est déjà au travail, sous forme de capteurs, de sondes, de petits bras robotiques, de deux mini-drônes, de nano-robots. Un écran de contrôle clignote. Un soleil artificiel scintille. C’est une batterie de lampes, capable d’envoyer tout ce qu’il faut en chaleur ou UV, selon les besoins. J’ai dit « elle est déjà au travail » ? C’est un abus de langage. L’IAR est toujours au travail. Elle a néanmoins le tact de suivre les saisons. Je pénètre dans ma petite jungle, récupère quelques tomates, en fait une petite salade pour commencer la journée et compléter mon petit-déjeuner. Le goût est impeccable. Je mange distraitement. Une pensée étrange surgit alors dans mon crâne. J’ai le sentiment que nous n’avons jamais été aussi proches des plantes. Nous aussi, on nous donne ce qu’il nous faut, on nous dorlote, on nous arrose, on s’assure qu’on reste bien en terre. La seule différence, c’est qu’on en est conscient. Enfin, les plantes le sont peut-être aussi. À leur manière.

Plus tard, alors que je suis en train de lire les nouvelles du monde sur un écran qui défile au rythme du mouvement de mes yeux, un voyant rouge s’allume au-dessus de la porte de la Digi-Ferme. Intrigué, je passe une tête à l’intérieur. L’écran de contrôle clignote lui aussi. Ils se sont donné le mot. Je passe rapidement mon doigt sur l’écran tactile, sans trop lire. Le voyant s’éteint. Rassuré, je recule mais il se rallume aussi sec. Cette fois, je plonge le nez dans les commandes. L’appareil me propose un redémarrage complet. Je l’ai fait de nombreuses fois. C’est une procédure qui permet de localiser les bugs et de repartir sur des bases saines. Il n’y a aucun risque. Les plantes peuvent vivre sans IAR quelques minutes. Le doigt en suspens avant d’appuyer sur le bouton de redémarrage, j’hésite sans trop savoir pourquoi. Finalement, je n’appuie pas sur le bouton, pour une raison qui m’échappe. À la place, je passe de longues minutes à jongler entre les différents capteurs, à augmenter des curseurs, à en baisser d’autres, à désactiver des choses, à contrôler manuellement les machines. Finalement, victoire, le voyant s’éteint. J’ai le sourire aux lèvres sans même m’en rendre compte. Une autre pensée étrange surgit alors…

***

Cela fait maintenant une semaine que j’ai désactivé l’IAR dans ma Digi-Ferme. Bien sûr, quand j’ai voulu le faire, j’ai eu droit à de nombreux messages paniqués de l’interface. Je les ai tous ignorés. L’IAR n’a rien d’une obligation. Je suis libre de la désactiver. Je sors de ma petite jungle le front perlant de sueur, les mains et les joues pleines de terre. A l’intérieur, c’est un champ de bataille. Dans mes mains, deux grandes courgettes. Je les lave, les découpe, les fait cuire. Un insecte vagabonde sur mon plan de travail. Je verse mes courgettes dans une assiette et je les mange lentement. Elles sont un peu trop mûres avec un arrière-goût un peu trop amer. C’est parfait. 

Un grand merci à Vincent Leconte sans qui les Fermes inventées n’existeraient pas. Vincent est aussi comédien et metteur en scène. N’hésitez pas à suivre ses projets et sa Compagnie “Le Navire” sur Facebook, Instagram ou son site internet !

Merci à vous, lecteur, lectrice, d’avoir lu jusqu’ici. Comme toujours, je suis preneuse de vos retours et commentaires.

A bientôt !