La Chèvre et le chou · Portraits de l'agriculture aujourd'hui

Tous les mois, un focus sur le monde agricole ou un entretien avec un·e agriculteur·rice ou éleveur·euse, agrémenté d'un petit récit d'invention.

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Par Lucie B.
27 févr. · 6 mn à lire
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"On ne veut pas de primes, on veut vivre de notre travail décemment."

Marie-Claude Mercadal, maraîchère bio de la plaine de la Crau

Bonjour à toutes et tous,

J’ai eu la chance ce mois-ci d’échanger avec Marie-Claude Mercadal, maraîchère bio installée dans la plaine de la Crau, dans les Bouches-du-Rhône. Ce fut un entretien enrichissant et marquant, d’autant plus compte tenu de l’actualité, et je remercie Marie-Claude pour sa confiance.

Vous retrouverez, à la suite de l’entretien, une courte sélection d’articles pour mieux comprendre la colère des agriculteurs qui fait la une des médias ces derniers jours.

En deuxième partie de lettre, nous ne retrouverons pas les fermes inventées de Vincent, qui est en ce moment en pleine préparation de son nouveau spectacle, No(s) Futurs, une pièce sur l’éco-anxiété écrite à partir de plus de 70 entretiens. La pièce sera jouée les 31 janvier, 1, 2 et 3 février au Centre Paris Anim’ La Jonquière, à Paris. N’hésitez pas à venir la voir (les billets sont disponibles ici) et on en profitera pour prendre un verre !

Bonne lecture !


Entretien

Comment êtes-vous devenue maraîchère ?

Maman était technicienne à la Chambre d'agriculture et elle a rencontré Papa en 1964, quand il est rentré d'Algérie, où il était ingénieur oenologue pour les caves autour d’Alger. Ils se sont mariés et installés avec le frère de mon Papa, déjà paysan en Algérie, sur une ferme qu'il a fallu acheter. Il a aussi fallu construire les serres pour pouvoir produire, c’étaient donc de gros investissements.

Quant à moi, j’ai fait un deug de biochimie et BTS [brevet de technicien supérieur] en agriculture. À ce moment-là, je n’avais pas forcément dans l’idée de m’installer, je réfléchissais par exemple à travailler dans la recherche agricole. Mais mes parents m’ont encouragée à m’installer, donc je me suis installée en tant que maraîchère sur les terres de mes parents en 1988.

Marie-Claude et son fils (c) M-C. M.Marie-Claude et son fils (c) M-C. M.

Mon mari - aujourd’hui ex-mari - m’a rejoint sur la ferme, nous avions une exploitation agricole assez classique, conventionnelle. Nous nous étions spécialisés dans les salades l’hiver ainsi que les tomates, courgettes. J’ai aussi essayé les babacos, une sorte de papaye de montagne, lorsque je me suis installée. Nous vendions la production sur des marchés de gros ou de demi-gros, et sur deux marchés et un point de vente collectif avec d’autres paysans.

Puis mon ex-mari est parti et je me suis convertie au bio [agriculture biologique] et à davantage de vente directe. Je ne me voyais pas poursuivre seule en conventionnel.

Comment se déroule une conversion au bio ?

Il faut faire une demande à l’organisme de certification dédié en 2007. La conversion prend deux ans, c’est-à-dire qu’il faut respecter le cahier des charges du bio pendant deux ans tout en vendant la production en tant que conventionnelle, avant de pouvoir obtenir le label Agriculture Biologique (AB), en 2009 pour moi. J’ai eu de la chance car j’ai pu entrer dans les Paniers Marseillais, qui est une association de type AMAP*, même avant d’obtenir le label. Ce mode de fonctionnement permet d’avoir une visibilité sur sa trésorerie à un horizon de six mois ou un an. Ça nous permet de survivre, de faire fonctionner la ferme. Pour vivre décemment, il faudrait que le panier à 18 euros pour deux personnes soit plutôt à 22 euros. Mais les consommateurs sont, eux aussi, soumis aux problèmes d’inflation et de cherté de la vie.

*AMAP : Les Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne sont des partenariats entre un groupe de consommateurs et un ou plusieurs agriculteurs. Dans le modèle le plus courant, chaque consommateur s’engage, en payant d’avance pour 6 mois ou un an, à venir récupérer chaque semaine un panier de fruits et/ou légumes.

Comment fonctionnent les Paniers Marseillais ?

Chaque paysan qui fait partie des Paniers Marseillais a son propre groupe de consommateurs. Mais il y a énormément de solidarité, d’entraide. Si l’un des paysans membres manque d’un produit, un autre peut remplacer avec un de ses propres produits. Ou alors, on va s’aider les uns les autres, pour rebâcher une serre par exemple.

Dans l’agriculture conventionnelle, il y a aussi de la solidarité. Ce n’est pas une question de bio ou de conventionnel, nous sommes tous soumis aux évolutions du climat, aux normes qu’on nous applique... La solidarité, c’est surtout lié à la taille des fermes. Les petites structures sont souvent plus en adéquation avec leur zone de vie, les paysans d'à côté. Tout le monde se connaît et s'entraide. C’est beaucoup plus difficile avec les grandes structures. On a des contacts avec d’autres agriculteurs mais qui sont plus mercantiles ou en lien avec les syndicats.

Les distributions (c) M-C. M.Les distributions (c) M-C. M.

Que produisez-vous aujourd’hui ?

J’ai des légumes de saison, des plantes aromatiques et quelques fruits, notamment des pastèques, des melons et des fraises, sur 3,9 hectares. L’objectif est de pouvoir proposer des produits différents chaque semaine dans les paniers. J’ai entre quarante et cinquante produits différents.

Le matin, je prépare les distributions de paniers du soir - j’en ai 300 par semaine -, je m’occupe des plantations et des récoltes. Puis je pars faire mes distributions entre 15h30 et 21h. En été, il y a beaucoup de travail, les récoltes sont quasiment quotidiennes et il faut ensuite les stocker en chambre froide pour ne pas qu’elles s’abîment. En hiver, on s’adapte aux jours qui raccourcissent, les récoltes sont moins fréquentes.

Avec plusieurs distributions par semaine, quelle est la place de la communication dans vos activités ?

La communication est indispensable, elle fait pour moitié de notre commercialisation. On fait des mails réguliers, des journaux, on anime les groupes WhatsApp des consommateurs en lien avec les référents bénévoles…

Combien de personnes travaillent sur la ferme ?

Nous sommes quatre, moi comprise. En été, on embauche un ou deux saisonniers pour les récoltes. Une des personnes a fait une formation adulte en agriculture puis est venue en stage chez nous. On l’a embauchée en CDI en juillet 2023 afin de la former pour qu’elle reprenne la ferme.

Comment se passe la transmission ?

C’est quelque chose qui se prépare à l’avance. Il faut trouver une personne pas trop âgée, qui a des valeurs et une démarche similaire, et prendre le temps de la former. J’ai mis des années à monter un circuit court avec mes clients et je ne voudrais pas que ça disparaisse. Il faut aussi trouver la meilleure solution pour transmettre les terres : un rachat, une location, ou passer par des organismes comme Terre de Liens.

Être maraîcher, c’est un métier très prenant, physique, et moralement compliqué. C’est une vraie entreprise. D’ailleurs, la charge administrative a énormément augmenté : tenir un journal de récoltes journalier, réaliser un suivi technique des engrais apportés, des travaux des sols, des plantations, faire les déclarations obligatoires auprès de la PAC [Politique Agricole Commune]… Ça me prend a minima une journée et demie par semaine.

La PAC ne nous apporte rien, et être passé en bio n’apporte pas plus d’aides, à part une possibilité de dégrèvement d’impôts qui va jusqu’à 3 000 € par an. Le maraîchage est le parent pauvre des subventions européennes, qui sont construites en lien avec les gros syndicats agricoles, représentant principalement les agriculteurs céréaliers.

Marie-Claude dans une serre de la ferme (c) M-C. M.Marie-Claude dans une serre de la ferme (c) M-C. M.

Qu’est-ce qui vous plaît et vous plaît moins dans votre métier ?

J’aime voir pousser les légumes, et la relation avec les adhérents et consommateurs. On organise chaque année une journée conviviale avec les adhérents, qui viennent visiter la ferme et échanger autour d’un barbecue. En revanche, je suis frustrée par le temps que prend l’administratif, par la récurrence de certaines tâches. Il y a aussi une forte tension mentale liée aux aléas climatiques et météorologiques.

Est-ce que vous constatez une évolution du climat ?

Oui, je le dis depuis longtemps. On a de moins en moins de gelées, cela a un impact sur les prédateurs comme les pucerons qui ne sont pas tués par les gelées. Les dernières neiges un peu conséquentes remontent à 2009. On a aussi une augmentation des périodes caniculaires, qui deviennent récurrentes dès le mois de mai. Certains fruits et légumes que l’on fait pousser ne sont pas adaptées à ces fortes chaleurs, on en introduit peu à peu qui viennent du Sud de l’Espagne. La pluviométrie est moindre et la question se pose de pouvoir continuer à produire à terme. Dans la région, on voit venir certaines cultures, comme les amandiers et les pistachiers, moins gourmands en eau. Mais ce n’est pas mieux en Bretagne ou dans le Nord avec les inondations récurrentes. Il faut que les pouvoirs publics agissent.

Quelles sont les particularités de la plaine de la Crau, où vous êtes installée ?

Nous sommes situés dans la zone AOC [Appelation d’Origine Contrôlée] du foin de Crau et entourés par le Parc Naturel des Alpines, une zone Natura 2000 et la vallée des Beaux. Il s’agit à l’origine d’une steppe en partie irriguée pour cultiver les foins du roi. On y trouve une faune et une flore très endémiques [c’est-à-dire propres à une aire géographique donnée].

Limites approximatives de la Crau (c) Eric Gaba – Wikimedia Commons user: StingLimites approximatives de la Crau (c) Eric Gaba – Wikimedia Commons user: Sting

Pour irriguer mes plantations, j’ai un forage dans la nappe phréatique de Crau qui me permet de faire du goutte à goutte, et de l’aspersion pour les légumes à feuilles. Autour de moi, les foins sont arrosés par arrosage gravitaire, c’est-à-dire que les champs sont inondés. C’est nécessaire pour faire pousser les foins. Pour le moment, je n’ai pas eu de restrictions d’arrosage mais ça a été le cas autour de Marseille.

Comment est-ce que vous envisagez l’évolution de l’agriculture ?

On navigue à vue. L’autonomie alimentaire est une nécessité mais elle est difficile à mettre en place. Il faudrait davantage de petites fermes, plus localisées, mais les enjeux économiques et financiers sont immenses et les politiques agricoles actuelles ne vont pas dans ce sens.

Chez certains consommateurs, on observe une prise de conscience que notre mode de vie n’est pas en phase avec notre planète. Ça n’en reste pas moins très limité par rapport à la majorité des consommateurs. On fait aussi face à une méconnaissance de l’alimentation bio, qu’on pense souvent chère. Notre groupe de paysans a fait une étude qui montre que le panier en bio, lissé sur l'année, est moins cher que le même panier en conventionnel vendu en grande surface. Et il faut faire beaucoup de pédagogie, pour expliquer par exemple qu’on n’achète pas des tomates et des courgettes l’hiver, ce n’est pas de saison.


Peu après notre entretien, Marie-Claude m’a envoyé un mail pour témoigner davantage de ce qu’elle a pu vivre. Voici ses mots.

Compte tenu de l’actualité, je voudrais rebondir sur ce qu’il se passe. 

Je fais partie de ces enfants de paysans qui ont vu leur père essayer de se supprimer, Dieu merci, il s'est raté. Je fais partie de ces paysannes qui se sont retrouvées seules après le pétage de câble de leur époux, dû sans doute à la pression de la profession, et à tant d'autres choses. Je fais partie de ces paysannes qui ont été obligées d'avancer après cette épreuve, pour conserver la ferme et élever seule ses enfants. Je fais partie de ces paysannes qui payent dans leur chair les heures difficiles consacrées au travail, et qui à 57 ans sont handicapées par le dos, les épaules, les genoux, toutes les articulations. Et je ne parle pas de mes confrères atteints de cancers suite à leur exposition à des matières dangereuses dans leur jeunesse, et plus tard pour produire plus pour nourrir la population (ou la faire crever).

On ne veut pas de primes, on veut vivre de notre travail décemment. Oui, on est capable d'évoluer vers une agriculture plus propre, plus saine, pour la population comme pour nous.Mais nous ne pouvons le faire que si nous en avons les moyens. Il faut arrêter les importations de produits bourrés de pesticides interdits en France. Si nous voulons notre souveraineté alimentaire, il faut aider les paysans à vendre dignement les fruits de leurs fermes, pour qu'ils puissent continuer à produire des produits de qualité.

Une distribution de paniers (c) M-C. M.Une distribution de paniers (c) M-C. M.

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Quelques liens pour mieux comprendre

Voici une sélection courte et bien évidemment très partielle de podcasts, articles et autres ressources pour mieux comprendre l’actualité.


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