Alexandra Bailly, agricultrice et éleveuse de bovins en Isère
Bienvenue dans cette première édition ! Je vous souhaite une belle lecture.
Pour cette première édition, j'ai eu le plaisir d'échanger avec Alexandra Bailly, agricultrice et éleveuse associée avec son mari à Champagnier, en Isère, à la ferme des Platanes.
Lucie - Depuis quand travaillez-vous sur votre exploitation ?
Alexandra Bailly - Je travaille sur l'exploitation depuis une quinzaine d'années. Mon conjoint et moi nous sommes mis en GAEC* en juillet 2022 et je suis donc cheffe d'exploitation associée avec mon mari. Auparavant, j'étais conjointe collaboratrice* mais une nouvelle loi est passée récemment qui limite le statut de conjoint collaborateur à cinq ans. Pour moi, être en GAEC ne change rien si ce n'est que les cotisations sont plus élevées qu'en tant que conjointe collaboratrice.
Les vaches, c’est comme un gosse, ça se passe bien si on s’en occupe.
Comment votre exploitation est-elle organisée ?
Nous avons un cheptel d'en moyenne 85 bêtes dont 38 vaches allaitantes et deux taureaux, des veaux et des génisses. Ce sont des bovins destinées à la production de viande. On parle de "vache allaitante" parce qu'elles allaitent leurs petits jusqu'à au moins six mois. Les trois quart des vaches sont des limousines et le reste sont des aubrac. Elles sont gentilles, on passe du temps à nous occuper d'elles. Les vaches, c'est comme un gosse, ça se passe bien si on s'en occupe.
Le cheptel avait beaucoup progressé dans les dernières années mais il a été victime d'une maladie : la besnoitiose*. Cela ressemble à un cancer généralisé qui se déclenche à partir d'une piqûre d'insecte. J'avais mis des bêtes à la montagne, mais certaines maigrissaient, beuglaient, un ami m'a dit qu'elles avaient la besnoitiose. C'est une maladie qui prend de l'ampleur, il n'y a pas de vaccin ni de traitement. J'ai du faire partir 25 vaches allaitantes à l'abattage, je n'ai pas eu le choix. Depuis, on n'emmène plus les vaches pâturer en montagne, et je n'ai plus eu de cas de besnoitiose. On croise les doigts pour que ça n'arrive plus.
Une partie de nos prés sont en propriété et une autre partie en location, avec 130 hectares en tout. Cela représente une ferme de taille moyenne, il y a des fermes plus importantes en montagne avec 200 ou 300 bêtes.
Est-ce que vous produisez également l’alimentation de vos vaches ?
Nous cultivons tout ce qu'il faut pour l'alimentation de nos bêtes sur quarante hectares de céréales : de l'orge, du blé qui est vendu à la coopérative dauphinoise Oxyane, et du triticale, issue d'un croisement entre des blés et le seigle. Il y a une rotation des cultures d'année en année, pour que le sol se ré-enrichisse en azote. Cette année, pour la première fois, on cultive du soja. On ne sait pas si cela va marcher ou pas, si on va être gagnants ou perdants avec le soja, donc on préfère tout vendre à la coopérative.
Je n'ai pas de source d'eau directe, ce qui m'oblige à apporter à boire [aux bêtes]. Ça a été compliqué l'été dernier avec la sécheresse.
Il y a quatre ans, nous avons pris la décision de passer en agriculture biologique. Un apiculteur du coin nous avait suspecté d’être à l’origine de la mort de ses abeilles, à cause des pesticides. Il y a eu un contrôle qui a prouvé que nous n’y étions pour rien. Il a été montré que les abeilles mouraient à cause d’un parasite qui s’introduisait dans les nids. Cela nous a quand même causé beaucoup d’inquiétude et nous avons préféré passer en bio.
Aujourd’hui nous sommes contents, on s'en sort mieux financièrement. Des contrôles sont réalisés deux fois par an pour vérifier que nous respectons le cahier des charges de l'agriculture biologique. L'obtention de la certification demande trois ans avec une conversion durant les deux premières années. J'aime bien participer à des réunions ou des rencontres sur le bio. Cela me permet de connaître les autres exploitants et d'avoir des avis.
Concernant le matériel, il n'y a pas de CUMA* [Coopérative d'Utilisation de Matériels Agricoles, permettant aux agriculteurs de mettre en commun leurs ressources afin d'acquérir du matériel agricole, ndlr] sur le territoire. On n'a pas non plus acheté de matériel en commun. On fait faire la moisson parce qu'il serait trop cher d'acheter une moissonneuse-batteuse. On achète les semences chaque année pour les renouveler et éviter que les grains ne développent la carie, c'est-à-dire une sorte de consanguinité.
Quelles sont vos activités au quotidien ?
Je m'occupe beaucoup de l'administratif, c'est-à-dire des factures, de la TVA en lien avec l'expert comptable, des déclarations de naissance. L'été, je m'occupe d'apporter des citernes d'eau aux bêtes qui sont au pré pour qu'elles puissent boire. Je n'ai pas de source d'eau directe, ce qui m'oblige à leur apporter à boire. Ça a été compliqué l'été dernier avec la sécheresse. Mon mari s'occupe plutôt de l'alimentation des bêtes.
En hiver, mon conjoint et moi sommes toujours ensemble en train de s'occuper des bêtes. On ne rentre en stabulation [en étable, ndlr] que les bêtes qui vont vêler [mettre bas, ndlr]. Les autres sont en extérieur tant qu'il ne neige pas, elles ont ce qu’il faut pour se mettre à l’abri en cas de besoin.
Pourquoi avez-vous fait ce métier ? Qu'est-ce qui vous plaît ?
Je suis née dans une ferme et j'avais un oncle paysan. J'ai toujours rêvé de retourner au travail de la terre. J'ai rencontré mon mari et j'ai eu mes deux filles. Un soir, mon mari, qui a repris la ferme de ses parents, m'a demandé de lui donner un coup de main, et peu à peu je me suis davantage impliquée. Je ne sais pas pourquoi j'ai mordu au métier. J'étais un peu garçon manqué quand j'étais petite, ça a peut-être joué. Ce qui me plaît le plus, c'est le contact avec les bêtes. On ne s'engueule pas, on est toujours contentes de se voir. C'est apaisant. Je suis tous les jours auprès de mes vaches, pour vérifier s'il n'y en a pas une qui boîte ou qui tousse.
Votre manière de travailler a-t-elle évolué au cours des dernières années ?
On a beaucoup évolué en matière de sécurité pour les vaches et pour nous. On a mis en place des panels de contention, c'est-à-dire un endroit où on peut bloquer les vaches. Avant, on faisait tout avec des barbelés. L'agricole reste dangereux, un accident est très vite arrivé. L'année dernière, un éleveur de Nord-Isère qui était en train de baguer un jeune veau s'est fait charger par la mère. On fait toujours attention à être à deux quand on met les boucles aux oreilles des veaux. Les vaches ont l'instinct maternel, c'est normal.
Dans les prochaines années, les tracteurs vont évoluer, certains sans gasoil, d'autres sans conducteur, mais ça ne sera pas pour nous. Ça sera plutôt pour les agriculteurs en montagne qui sont plus à l'aise financièrement. Ils reçoivent plus de primes de la PAC* parce qu'ils récoltent moins, en raison des parcelles en pente, du manque d'herbe...
Le moins bon côté, ce sont les aléas de la météo. Le climat est de plus en plus compliqué. Il n'y a pas d'accompagnement des institutions sur ce sujet.
Le manque d'eau l'année dernière nous a causé beaucoup de souci. Nous avons pensé ne rien gagner, mais la récolte s'est finalement vendue plus chère que d'habitude même si on a moins récolté. Le prix est fondé sur le poids du grain - cela s'appelle le "poids spécifique" - et nous avons eu la chance d'avoir un bon poids.
Quels sont les meilleurs et les moins bons côtés de votre métier ?
La naissance de mes veaux est le meilleur aspect. Le moins bon côté, ce sont les aléas de la météo. Le climat est de plus en plus compliqué. Il n'y a pas d'accompagnement des institutions sur ce sujet. J'aimerais bien acheter une grande cuve d'eau pour mes bêtes, on n'a pas d'irrigation ici et l'abreuvement est mon grand souci.
Besnoitioise : c'est une maladie infectieuse des bovins due à un parasite, transmis par une piqûre d’insectes (taons, stomoxes) ou des aiguilles réutilisées. Les animaux infectés demeurent porteurs et contagieux toute leur vie. La maladie n’entraine aucun symptôme dans la plupart des cas, ce qui rend de fait sa mise en évidence parfois difficile. Il n'existe ni vaccin, ni traitement. (Source : GDS Rhône)
Conjoint.e collaborateur.rice : le conjoint d'un chef d'une entreprise commerciale, artisanale ou libérale, qui exerce une activité professionnelle régulière dans l'entreprise sans percevoir de rémunération et sans avoir la qualité d'associé. (Source : URSSAF)
GAEC : créé lui aussi en 1962, le Groupement Agricole d'Exploitation en Commun a pour but de “permettre à des agriculteurs de regrouper leurs moyens de production dans une structure unique, tout en gardant ses pouvoirs de gestion sur son exploitation. Il permet donc de préserver le caractère d’exploitation familiale.” (Source : CERSA)
PAC : lancée en 1962, la Politique Agricole Commune est une politique mise en place à l'échelle de l'Union Européenne qui vise à développer et soutenir les agricultures des États membres, au moyen notamment de subventions ou “primes”. (Source : vie-publique.fr)
Pour terminer cette édition, on vous propose de faire fonctionner vos imaginaires avec la présentation d’une ferme inventée…
Inventée en 2045 pour faire face à la montée des eaux, l’Aqua-ferme offre aux populations côtières un modèle d’agriculture marin audacieux.
Localisation : Sous l’eau, sur le plateau continental océanique en basse-mer, plus rarement en mésopélagique (jusqu’à 500m maximum pour la plus profonde recensée). De préférence sur un sol sédimentaire stable et à proximité des grandes forêts d’algues.
Architecture : Les bâtiments sont construits en demi-sphères de verre pour assurer aux fermiers et fermières des espaces non-immergés. Il y en a généralement trois : le bâtiment de stockage, le bâtiment de traitement et le bâtiment de vie.
Culture : 75% des fermes sont uniquement consacrées à la culture des algues avec par ordre d’importance :
Les algues brunes (wakamé, kombu, fucus…)
Les algues vertes (laitue de mer, aoniri…)
Les algues rouges (dulse, nori…)
10% des aqua-fermes pratiquement également un traitement des micro-algues dites spirulines. Les 15% restants couplent leur culture d’algues avec un élevage de mammifères marins, principalement des lamantins.
Le lamantin des Antilles, dictionnaire Larousse en ligne
Fonctionnement agricole : Des roulements de récoltes sont organisés par type d’algue tout au long de l’année. Celles-ci sont généralement assurées par aspimoissonnage ou en découpe de surface, deux techniques qui permettent de respecter au maximum les sols sédimentaires. Les tracto-amphibies en sont responsables. Beaucoup plus rarement, les récoltes sont faites à la main par des plongeurs. A l’issue de celles-ci, les algues sont stockées dans des cuves humides pour ensuite être nettoyées de leurs coquillages (broyés puis déposés de nouveau sur les sédiments), débarrassées de leur iode (ce processus peut aussi se réaliser à la surface) et parfois condimentées dans le bâtiment de traitement. On les place ensuite dans des conteneurs qui sont récupérés par les convoyeurs surfonds (surface – fonds marins).
Fonctionnement administratif : La plupart des aqua-fermes sont organisées en coopératives, du fait du coût structurel important des installations et de la remontée des cultures. 90% des fermes organisent un roulement de leurs employés avec un système 6 mois sous l’eau / 6 mois en surface. Les 10% restants ont choisi de vivre quasiment à plein temps sous l’eau. On les appelle les « Paysans Bleus ».
Problématiques :
Coût des installations
Processus contraignant pour remonter les cultures à la surface (par opposition au varech récolté directement sur les plages)
Pollution marine
Sols instables
Maladies sous-marines des algues
Isolement sous-marin
Avantages :
Faune marine abondante à proximité des fermes : contemplation, restauration en circuit cours…
Rendements importants (consommation en plein essor à la surface)
Des champs qui nécessitent peu d’entretien
Chant des baleines, lumières marines et autres spectacles sous-marins
C’est tout pour aujourd’hui. Un grand merci d’avoir lu cette première édition ! Et un très grand merci à Alexandra Bailly d’avoir accepté de répondre à mes questions et de tester ce projet.
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On se retrouve le mois prochain !